Perspectives IA : quel avenir pour les jeunes diplômés ?
Ces derniers mois, la presse a relayé des chiffres alarmants sur les perspectives d’emplois pour les nouvelles générations. Parmi les déclarations choc, celle de Dario Amodei, le PDG d’Anthropic, qui a annoncé que l’IA pourrait remplacer jusqu’à 50% des emplois junior d’ici 2050. Cette menace plane également sur les métiers des ESN. Sébastien Gasnier, Chief AI Officer, propose de prendre le contre-pied de cette tendance pour faire de l’IA l’alliée des plus jeunes.

L’IA pour remplacer les juniors ?
Depuis un an, grâce à de meilleurs résultats, l’usage de l’IA s’est démocratisé et accéléré. Personne ne s’attendait à une telle rapidité ni à de telles transformations en si peu de temps.
L’alarmisme ambiant s’appuie sur une réalité. De nombreux métiers ont eu comme premier réflexe d’automatiser des tâches souvent confiées aux juniors, à la fois simples et chronophages, les seniors en conservant le suivi et la relecture.
Cette tendance se retrouve aussi bien dans le monde des ESN que dans d’autres professions, notamment chez les juristes et les avocats. Chez nos consultants, les trois grandes catégories de métiers sont concernées, aussi bien la gouvernance (les chefs de projet), que les profils fonctionnels (les experts métiers) et techniques (les développeurs). Aux chefs de projet seniors, la vision, le cadrage, la conception et la gestion. Aux juniors, une partie de l’exécution, comme la rédaction des comptes-rendus de réunions. Or désormais, les retranscriptions sont entièrement automatisées. Même observation chez les consultants fonctionnels. Lors des ateliers avec les clients, les profils les plus expérimentés n’ont plus besoin de juniors pour les assister. Enfin, les développeurs ne sont plus obligés d’écrire du code. Les seniors ont simplement à relire des demandes fonctionnelles alors qu’auparavant, une équipe de trois à cinq juniors les secondaient.
Dans les phases d’écriture, les IA génératives ont permis des gains très importants au détriment des emplois des juniors, déjà menacés par le contexte géopolitique depuis la guerre en Ukraine. L’IA est aujourd’hui notre assistant. Mais son horizon semble sans limites. Certaines tâches, comme les services clients en ligne sont aujourd’hui déjà entièrement automatisées. Même les professions nécessitant de longues études supérieures se sentent concernées. Face à cette révolution en cours, quel avenir peut-on offrir aux plus jeunes ? Et quels rôles leur donner ?
L’accélération et l’automatisation : des leviers pour renverser la tendance ?
Remontons 25 ans en arrière. Avec l’arrivée d’internet, des craintes similaires avaient surgi. On retrouve en effet les mêmes arguments contre l’IA :
- elle livre un résultat prêt à l’emploi
- elle génère des erreurs et des hallucinations.
Or, à l’instar d’internet, l’IA s’envisage comme un partenaire avec lequel échanger et travailler ses réflexions. Elle n’est pas censée fournir une réponse immédiate. Une recherche sur internet nécessite parfois un travail de compilation et de vérification parmi des sources contradictoires. Il en est de même pour l’IA. Internet a créé de nouveaux métiers, pourquoi l’IA ne le pourrait-elle pas ?
De nombreux articles évoquent aussi la peur de perdre des savoir-faire. Comme créer un Power Point par exemple. Mais lorsqu’on crée un document de présentation, l’intention n’est-elle pas avant tout de faire passer un message ? La technicité est-elle si importante ? Avec un outil d’IA générative, le livrable final reste le même. Mais pour y parvenir, il est nécessaire de travailler son propos. En l’état actuel, l’IA accélère l’exécution. Dans les générations précédentes, un ingénieur junior qui sortait d’école n’était pas un expert en PowerPoint, mais en mathématiques. C’est ce savoir fondamental qu’il faut garder. Le piège serait de tout déléguer à la machine.
Comme internet, l’IA met le savoir à disposition et en facilite l’accès. C’est ici que se trouvent les premiers leviers pour renverser la situation.
L’IA simplifie l’onboarding.
Elle peut en effet aider, assister, voire même encadrer les juniors dans leurs missions. Un expert n’est pas toujours disponible. Même si la machine ne répond pas à toutes les questions et ne remplace pas l’expérience d’un senior, elle offre à chaque junior l’appui d’un coach personnalisé.
En réduisant les temps d’apprentissage, l’IA redéfinit l’emploi des jeunes.
Auparavant, il fallait des mois, voire des années, pour comprendre la complexité de certaines applications. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Prenons l’organisation du travail dans les phases de TMA. Dans ces services IT, les premiers cas risquent d’être bientôt automatisés. Mais doit-on forcément attribuer les plus complexes à un senior ? Les équipes sont confrontées à des sujets récurrents de maintenance. Dans l’historique des demandes, l’IA retrouve en un temps record la manière dont les incidents précédents ont été résolus. Il est donc possible de confier ces tâches à des profils juniors dès aujourd’hui.
L’IA : une opportunité pour imaginer une nouvelle organisation du travail ?
Pourquoi confie-t-on les tâches des juniors à l’IA ? Depuis un an, le travail se réorganise sur le modèle de processus déjà connus. On reproduit le passé. On cherche à l’automatiser.
On suit les mêmes séquences prédécoupées en étapes prédéfinies.
Un autre regard sur les processus de travail
Les profils juniors, quasi « IA natifs », sont de vrais atouts pour amener la transformation un cran plus loin. Leur confier des rôles, tout en gardant un œil attentif, permet de challenger des habitudes ancrées, voire même d’adopter de nouveaux réflexes. Leur regard différent sur le travail et la technologie apporte des pistes de réflexions très intéressantes. Ils aident à casser les codes, à se remettre en question, voire même à raccourcir certains processus. A-t-on raison de conserver le même mode opératoire ou faut-il le faire évoluer ? C’est d’autant plus précieux dans cette phase de transformation actuelle.
Une connaissance portée avec enthousiasme
Par ailleurs, on constate un phénomène humain. D’après nos statistiques, 75% de nos équipes utilisent l’IA générative – nous sommes au sein d’une population technophile, où toutes les générations s’y sont mises. Cependant les juniors, qui l’ont intégrée dans leur quotidien dès leurs études, manifestent un plus grand enthousiasme, visible jusque sur leurs écrans en réunion. Ils testent toutes les dernières solutions, communiquent leurs résultats à leurs managers et se lancent dans des démonstrations à destination de l’ensemble des collaborateurs.
Leur rôle dans l’accompagnement
Grâce à leur énergie communicative, les juniors peuvent jouer un rôle important dans l’accompagnement. Je m’intéresse de près aux réfractaires, toutes générations confondues. J’essaie de comprendre leurs raisons et de voir dans quelle mesure je peux les aider. A la rentrée, j’ai renforcé mon équipe avec des profils sortis d’école pour m’aider dans les streams de transformation des métiers. Former des binômes avec des profils junior s’est révélé d’un grand intérêt.
L’IA inverse parfois la transmission du savoir. Elle consolide la collaboration entre les générations.
L’IA, une opportunité pour de nouveaux emplois ?
Difficile, voire même périlleux, de se lancer dans des pronostics. Mais on peut évoquer quelques pistes.
L’art du prompting
L’IA se démarque par sa simplicité d’utilisation. Cependant, dans le milieu professionnel, le prompting constitue une véritable expertise. Pour bien questionner un ChatGPT ou un Mistral, pour obtenir le résultat souhaité, il faut savoir construire sa demande. Les primo-adoptants ont pris une longueur d’avance. Et parmi eux figurent de nombreux juniors. Ce savoir se rattrape, mais déjà en place, il constitue un véritable atout.
La fusion des métiers
Dans les années à venir, la technique risque de devenir encore plus accessible. On pressent une fusion des profils fonctionnels et techniques. De nouveaux métiers « deux en un » vont émerger. Certains développeurs n’écrivent pratiquement plus une seule ligne de code. Ils s’orientent d’ores et déjà sur le fonctionnel et sa traduction dans les applications. Par ailleurs, des consultants fonctionnels, qui captaient les besoins des clients pour les transmettre ensuite à des développeurs, peuvent désormais les mettre en œuvre eux-mêmes. Avec l’IA, la séparation entre les rôles s’efface progressivement.
Conclusion
L’IA réduit certaines tâches, mais tout ne va pas disparaître. Restons optimistes ! Bien utilisée, elle peut devenir un allié pour les juniors tout en déchargeant les seniors. La question principale reste la suivante : comment l’adopter pour améliorer l’environnement de travail quotidien ? Si le premier réflexe a été d’évacuer les juniors, j’ai de grandes attentes vis-à-vis du change management. Dans les entreprises, les expérimentations arrivent toutes à la même conclusion : il faut prendre le train en marche. Et pour y parvenir, les jeunes ont un vrai rôle à jouer.
Ressources :
Le Monde : Les premiers pas en entreprises entravés par l’IA