Tribune d'experts
Le booking inspirationnel, ou les nouvelles manières d’engager les futurs voyageurs
Ça y est, vous êtes en vacances ? Que vous soyez parti faire une randonnée dans le Jura, bronzer sur la plage de Copacabana ou déguster de la paella à Barcelone, il y a de fortes chances que vous ayez été inspiré par les principaux acteurs du voyage. Comment ? Grâce au booking inspirationnel, et cela se passe exclusivement sur vos écrans. Un article de Thibault Celier, Design & Product manager et Colin Heridel, Design & Product consultant VISEO
Le booking inspirationnel ou comment réconcilier inspiration et action
En très résumé, l’inspiration de voyage est la présentation de nouvelles destinations, leurs mises en scène, afin d’inciter les futurs voyageurs à des achats initialement non planifiés. Elle existe depuis bien longtemps : les premiers promoteurs furent les artistes, explorateurs, cartographes ou zoologistes, qui ont été les premiers à dépeindre la richesse de notre monde dès le 17e siècle. Elle s’est ensuite développée avec l’arrivée des premiers magazines liés au voyage (le premier étant The Excursionist de Thomas Cook, en 1851) et ensuite avec la généralisation de la publicité. Elle répond aux interrogations de ceux qui veulent voyager sans savoir où voyager. Souvent trop éloignées des transactions finales des voyageurs, elle est souvent peu rentable. C’est en rapprochant les fonctionnalités d'inspiration à celles de réservation que de nombreux sites de voyage l’ont rendue plus efficace. On parle alors communément de booking inspirationnel. Contrairement à un parcours d’achat classique où le voyageur (tellement distrait) papillonne sur une multitude de sites et de plateformes pour s’inspirer, comparer et réserver son voyage, ici tout est regroupé dans une seule et même étape, sur un même canal. L'ambition n'est plus de vendre une nuit d'hôtel ou un vol directement en fonction d'un besoin, mais de placer le client au centre d'un processus de réservation complet (mobilité, hébergement, activités). Toutes les interactions de ce processus sont autant de moment d’émotions et permettent d'offrir une expérience riche dès le premier contact. Une sorte de premier voyage (immobile) avant le voyage bien réel.
Le booking inspirationnel contribue à atteindre deux grands objectifs : optimiser le taux de conversion et inciter les utilisateurs à revenir sur votre service. Si les voyageurs sont tant influencés, c’est parce qu’il est de plus en plus commun que l’expérience de réservation soit complètement numérique : aujourd’hui, plus de 55% des voyageurs réservent en ligne. Et s’ils sont tant influençables, c’est qu’ils se retrouvent souvent coincés dans une nébuleuse de choix sans fins, le trou noir de l’indécision, un espace étrange que Google nomme le Messy Middle.
Dans cette zone de l’indécision, les internautes oscillent frénétiquement entre exploration et évaluation des offres jusqu’à se décider enfin. La bascule se fait sous l’influence de différents biais cognitifs comme par exemple : le pouvoir d’autorité (ou le fait de suivre l’avis de gens que l’on considère comme experts), la preuve sociale (le fait de suivre l’avis du plus grand nombre) ou le préjugé de rareté (une chose nous intéresse plus si elle est limitée en nombre, en temps, ou en accès[1]). Pour que les voyageurs passent à l’action, les marques doivent ainsi s'assurer qu'elles offrent une expérience de marque cohérente et sans friction sur tous les canaux, et en s’appuyant sur ces biais de manière raisonnée lors des phases de réflexions. La clé est de proposer un contenu riche qui capte l'imagination des voyageurs et les incite à en découvrir davantage.
Des voyageurs prêts à en découdre.
La crise du coronavirus a mis un terme à la croissance des voyages d'affaires[2]. Les réunions en face-à-face ne sont plus la règle et les entreprises optent pour la vidéoconférence avec des outils tels que Slack, Teams, Zoom, etc. A l’inverse, le voyage de loisirs est en plein essor comme souvent après une crise (ce fut le cas après les attentats terroristes de 2001 ou la crise économique de 2008 par exemple[3]). Après ces périodes d’enfermement ou d’anxiété, les gens veulent sortir, s’évader et donc voyager. D’après Antoine Walter, directeur Expedia France, les voyageurs « ont encore plus envie de voyager en 2022 qu'en 2021 ». A cette envie de voyager s’ajoute une forme d’achat compulsif liée au manque. Ainsi, 68% des voyageurs prévoient de dépenser plus en voyage qu’avant la crise[4] et les premiers retours sur la saison estivale de cette année sont extrêmement encourageants.
Après avoir mené un effort de relance et d’investissement pour stimuler le tourisme et le voyage, les entreprises du secteur du voyage font face à des voyageurs à la fois déterminés à voyager et imprévisibles dans leurs choix de destinations. Ils sont prêts à partir même sans savoir où aller. Aussi Il existe donc une réelle opportunité de capter ces voyageurs d’un nouveau genre à travers des dispositifs de booking inpirationnel.
Ainsi, pour répondre à ces nouveaux comportements, Airbnb a fait peau neuve le 11 mai 2022, pour laisser place à une nouvelle interface avec trois nouvelles fonctionnalités clés. Tout d’abord, une protection appelée « aircover », une fonctionnalité « split stay » qui permet de séjourner dans deux logements différents dans le même voyage, mais surtout une nouvelle façon de réserver par catégories. A l’image d’un Netflix qui décrit son catalogue de films avec des métadonnées uniques directement issues de données d’usage, Airbnb a défini une cinquantaine de nouvelles catégories créées à la suite d'un long travail d’analyse des comportements de recherche de ses clients. Ces nouvelles catégories sont des promesses de voyage à part entière. Elles symbolisent bien l’envie de la marque de mettre en avant des logements uniques, beaux ou étonnants pour inspirer et donner envie aux voyageurs.
D’autres plateformes, quant à elles utilisent leurs communautés, des blogs, du contenu personnalisés ou de nouvelles plateformes de diffusions de contenus, ou encore changent d’offre pour inspirer les voyageurs. Ce sont de véritables changements de stratégies qui font échos aux nouvelles envies des voyageurs et à leurs nouvelles façons de voyager.
Un monde (connecté) d’images et autant de promesses de voyages …
Dans leur vie quotidienne, les voyageurs sont constamment influencés. Que ce soit par le biais de la publicité, de discussions avec des amis ou de photos de vacances de leur famille, l'envie de voyager grandit à chaque interaction, surtout depuis l'avènement des médias sociaux en ligne. Il est devenu courant de partager ses expériences de voyage en ligne. Les principaux réseaux sociaux que sont Facebook, Instagram et TikTok ont changé la façon dont s’inspirent les voyageurs, étant donné qu’une grande partie des publications que l’on peut y trouver sont liées aux voyages. Cette dynamique de partage et d'inspiration a fait des médias sociaux la source d'inspiration de voyage préférée dans le monde, en particulier chez les milléniaux[5]. L’inspiration par les contenus vidéos est plus que jamais multicanale, que ce soit au cinéma, où les films poussent les voyageurs à se déplacer sur les lieux de tournage ou dans des parcs à thèmes, ou encore à la télévision qui a retrouvé sa fonction originelle de « fenêtre sur le monde » durant la pandémie de coronavirus.
Ce phénomène, appelé « screen tourism », existe depuis l'invention du cinéma : les touristes ont afflué à Salzbourg dans les années 1960 après la sortie de La Mélodie du bonheur ; ces dernières décennies, des endroits comme la Nouvelle-Zélande ont attiré les fans du Seigneur des anneaux, l’Irlande ceux de Game of Thrones ; et plus récemment, les voyageurs veulent visiter les endroits qu'ils ont vus dans les émissions de télévision et les films qu'ils ont regardés pendant la pandémie, comme Paris (Emily in Paris), l'Écosse (Outlander), le Maroc (Inventing Anna), etc.
De nouvelles technologies immersives aux services de l’inspiration de voyage
Les récentes évolutions des technologies immersives - 3D, réalité augmentée et réalité virtuelle - relancent les vieux fantasmes d’univers immersifs, rassemblés ces temps-ci sous la bannière du métavers. De nouvelles expériences inédites de réalité deviennent possibles en jouant au niveau des sensations, du son et du toucher pour intégrer tout le corps dans les mondes virtuels. Ce sont des opportunités d’aller encore plus loin dans l’inspiration en proposant un véritable voyage avant le voyage.
Des villes saisissent déjà cette opportunité pour développer de nouvelles offres, comme l’a fait Séoul[6], ou plus récemment la ville de Benidorm qui a lancé, en partenariat avec SIX3D, BenidormLand, une copie conforme de la ville dans le métavers. Ce projet pilote vise à promouvoir Benidorm dans le métavers et à susciter l'intérêt des jeunes générations. La présence dans ce monde virtuel est une vitrine de la destination, une sorte de site web interactif qui permet aux utilisateurs de se promener dans les rues et même, à l'avenir, d'explorer ses parcs à thème, ses hôtels, ses restaurants et autres lieux d'intérêt. En permettant une pratique immersive, le métavers permet de vivre des choses jusqu'ici intangibles et de jouer avec les sens. A travers son avatar, l'utilisateur du métavers peut devenir un touriste en déambulant virtuellement, en interagissant avec ce qui l’entoure et donc en imaginant ce qu'ils pourraient ressentir. Le métavers, au-delà d’inspirer les voyageurs, pourraient également être utilisé de façons plus vertueuses, soit pour faire connaître des sites non accessibles à tous, soit comme une solution pour éviter de prendre l’avion et tendre vers un tourisme durable.
Sources
